Faut-il courir sous la pluie pour éviter d'être mouillé ?
Question qui peut paraître stupide a priori, car il est évident que si l'on reste sur place on va être trempé, alors que si on va à la vitesse de la lumière jusqu'à un abri, on va être très peu mouillé. Oui, mais...Chacun sait que si l'on va vite, on prend plus de gouttes dans la figure. Si l'on considère un trajet de longueur d à parcourir sous la pluie, y a-t-il une vitesse optimale pour parcourir ce trajet ?
On peut modéliser la pluie par des gouttes uniformément distribuées tombant verticalement à la vitesse V0 (on verra comment traiter le cas d'une pluie ``penchée'') avec une densité de r gouttes par mètre cube. L'infortuné promeneur sera modélisé par un parallèlepipède rectangle de dimensions h, L et l, animé d'un mouvement rectiligne uniforme horizontal de vitesse v. La largeur l n'ayant aucun rôle à jouer par la suite, on peut considérer que la figure en 2 dimensions ci-dessous résume la situation :
Pour calculer le nombre de gouttes que reçues par unité de temps, il est plus simple de changer de référentiel pour se placer dans celui du promeneur. Dans son propre référentiel, il a une vitesse nulle et reçoit des gouttes animées de la vitesse U=V0-v (somme vectorielle). En une unité de temps, le marcheur reçoit sur la tête toutes les gouttes contenues dans le volume de largeur l basé sur le parallèlogramme ABEF.
ou en 3 d (merci à Pierre Philippot pour cette illustration) :
L'aire du parallèlogramme ABEF est L*U*sin(ABE), où U est la norme du vecteur U. Mais l'angle ABE est égal à l'angle formé par les vecteurs U et -v. Le triangle d'addition des vitesses nous montre que le sinus de cet angle vaut V0/U. Le promeneur reçoit donc par unité de temps :
gouttes sur la tête. De même, pour trouver le nombre de gouttes reçues de face, il faut calculer l'aire de ACGF. Comme le sinus de l'angle ACG est égal à v/U, on trouve :
La durée totale du parcours étant de d/v, le nombre de gouttes reçues au total est N=N1+N2, soit :
On remarque que N1 est indépendant de la vitesse du promeneur. C'est le nombre de gouttes contenues dans le volume décrit dans l'espace par la face avant du marcheur. En revanche le nombre N2 de gouttes prises sur la tête est inversement proportionel à la vitesse v. Au final, la fonction N(v) est strictement décroissante, et tend vers r*l*d*h. Il est donc préférable de courir le plus vite possible. Si on prend une vitesse v'>v, le gain relatif est de (N(v)-N(v'))/N(v). Il ne dépend que du rapport L/h et de la vitesse verticale de la pluie, V0. En estimant ces deux paramètres à 1/8 et 10 m/s, on trouve un gain relatif de 30% environ pour une course à la vitesse de 4 m/s par rapport à une marche de 1.5 m/s.
Tout ceci est valable pour une pluie verticale, c'est-à-dire par vent nul. Mais que se passe-t-il en présence de vent ? Notons V0 la composante verticale du vent, et Vh la composante horizontale. Les calculs précédents de dN1/dt et dN2/dt restent valables à condition de remplacer la vitesse v par v-Vh. En revanche, le temps de parcours reste toujours égal à d/v. On obtient donc dans ce cas :
Il se présente alors deux cas :
premier cas : le vent est opposé au mouvement (vent de face). La norme dans la formule est alors égale à v+Vh. La fonction N(v) est alors de la même forme que par vent nul, l'étude qualitative est donc la même, et il est donc préférable de courir le plus vite possible.
deuxième cas : le vent est dans le sens du mouvement (vent de dos). La norme dans la formule vaut alors |v-Vh|. L'étude de cette fonction recèle alors une surprise. Si Vh/ V0<L/h (c'est-à-dire par vent faible), la fonction reste décroissante, et l'étude qualitative du cas de vent nul reste valable. Mais si Vh/ V0>L/h, la fonction est décroissante, passe par un minimum pour v=Vh puis devient croissante. Donc dans ce cas le mieux est de courir (ou marcher) exactement à la même vitesse que le vent.
L'étude des différents cas est résumé par les courbes ci-dessous, qui indiquent le nombre de gouttes reçues (dans des unités appropriées) en fonction de la vitesse de course en m/s.
Un mot de conclusion : bien que ce calcul relève de la "physique amusante", je ne serais pas surpris d'apprendre qu'il a des développements tout ce qu'il y a de plus sérieux. N'y aurait-il pas par exemple quelque ingénieur de la NASA qui se soit penché sur le nombre d'impacts de micro-météorites sur un engin spatial ?
Sept ans après avoir commis la première version de cet article, je tombe sur ça . Il s'agit d'un petit script permettant de calculer la quantité de pluie reçue en fonction de divers paramètres. Bien que les auteurs de cette étude n'aient pas donné leur formule j'ai vérifié en traçant la courbe point par point un très bon accord avec mes résultats. Le phénomène du minimum par vent de dos est également observé. Si un prix ignobel est decerné je revendiquerai la priorité ! Il me semble que l'honneur de la Nation est en jeu !
Tous ces calculs sont bien jolis, mais encore faut-il qu'ils résistent à l'épreuve des faits. Une expérience a été réalisée dans le cadre de l'émission E=M6. Les résultats ont été en parfait accord avec les calculs, bien que les essais ne fussent pas assez nombreux pour être véritablement probants (en fait la consommation d'eau avait dépassé les limites du raisonnable). Pourtant une expérience toute simple est à la portée de chacun !
Pour cette expérience il vous faut :
-un tuyau d'arrosage à débit réglable,
-un ventilateur,
-du rouleau adhésif,
-une montre ou un chronomètre,
-un train électrique,
-un lot d'éponges rectangulaires,
-une balance précise ou à défaut, un verre doseur,
-des bottes en caoutchouc.
Voilà vous pouvez commencer l'expérience sans sortir de votre salon !
Commencez par installer le train électrique.
Pesez les éponges : assurez-vous qu'elles font le même poids.
A l'aide de l'adhésif, fixez une éponge sur le train.
Branchez le train électrique : chronométrez-le pour mesurer sa vitesse. Notez celle-ci.
Mettez les bottes.
Allez dans la salle de bain, branchez le tuyau.
Arrosez le train.
Débranchez le train.
Allez changer les plombs.
Jetez le train ou rendez-le à votre neveu. En échange, prenez-lui sa voiture télécommandée.
Allez dans le jardin : attention il ne doit pas pleuvoir ! De la vraie pluie risquerait de tout fausser.
Remontez, vous avez oublié le tuyau d'arrosage. Profitez-en pour sauver votre neveu de la noyade.
Voilà, vous êtes enfin prêt ! Vous avez compris le principe de l'expérience. Le pesage des éponges est normalement plus précis, mais à défaut, vous pourrez les essorer dans le verre doseur. Et n'oubliez pas qu'en cas de défaillance de la voiture télécommandée, vous pouvez fort bien scotcher une éponge sur le crâne de votre neveu. Mais la vitesse est moins bien contrôlée.
N'oubliez pas que vous pouvez m'écrire pour me transmettre vos résultats, insultes, mises en examen.
Courir sous la pluie : le calcul relativiste ! Que doit faire Superman sous une pluie de kryptonite ?
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